mercredi 4 novembre 2009



Et encore, pour rire... Toujours Les démons.

Certes, on y parlait beaucoup d'amour, de l'amour qu'éprouvait un génie pour une certaine dame, mais, je l'avoue, cela laissa une impression de malaise. La petite silhouette bedonnante de l'écrivain génial aurait dû, je ne sais pas, lui interdire, à mon avis, de parler de son premier baiser... Mais -- et là encore, c'est assez vexant -- ces baisers, ils ne se faisaient pas trop comme chez le reste de l'humanité. Pour le génie, il faut absolument que du cytise pousse tout autour (du cytise, absolument, ou bien ce genre de végétal qu'il faudra que vous cherchiez dans la Botanique). En plus de ça, le ciel doit absolument avoir une sorte de teinte violette, laquelle teinte, bien sûr, n'a jamais été remarquée par aucun mortel, c'est-à-dire que, si, tout le monde l'a vue mais personne n'a su le remarquer, et "moi, vlan, je l'ai vu et je le décris, espèces d'imbéciles, comme la chose la plus banale qui soit". L'arbre sous lequel s'assied ce couple intéressant doit absolument avoir une sorte de couleur orange. Et ce couple-là, il est, je ne sais où, en Allemagne. Soudain, [...] le frisson d'exaltation parcourt le dos de Monsieur et de Madame. Après, il y a une espèce de sirène qui couine dans les buissons, Gluck se met à jouer du violon dans les ajoncs. La pièce qu'il interprète est nommée en toutes lettres, mais personne ne la connaît, de telle sorte qu'elle aussi, il faudra la chercher dans un dictionnaire de musique. Sur ces entrefaites, un brouillard blanc se met à tournoyer, il tournoie, il tournoie tellement qu'il ressemble plus à un million de coussins qu'à du brouillard. Puis, d'un seul coup, tout disparaît, et le grand génie traverse la Volga, en hiver, par un temps de redoux. Deux pages et demie sur cette traversée, mais, tout de même, il tombe dans un trou d'eau. Le génie est en train de se noyer -- vous pensez qu'il se noie? Jamais de la vie; tout ça, c'est pour dire qu'au moment où, ça y est, il se noie complètement, il avale de l'eau, il voit luire devant lui un petit glaçon, un minuscule petit glaçon gros comme un petit pois, mais pur et transparent, "telle une larme gelée", et dans cette larme-là se reflète toute l'Allemagne, ou pour mieux dire, le ciel de l'Allemagne, et que la lumière en arc-en-ciel de ce reflet lui rappelle cette fameuse larme qui, "t'en souviens-tu, se forma dans tes yeux quand nous partagions l'ombrage de l'arbre d'émeraude et que tu t'exclamas joyeusement: "le crime n'existe pas!" "Non, répondis-je, au bord des larmes, mais s'il en est ainsi, alors, les justes n'existent pas non plus." Et nous fondîmes en sanglots et nous nous séparâmes à jamais."

1 commentaire:

Yuri Shuster a dit…

Jamais note si courte à propos d'une telle description n'aura été autant appréciée. Votre commentaire est savoureux. Sous le couvert de la légèreté votre analyse nous rend l'essentiel : une atmosphère. Pour cela, merci.