mercredi 27 février 2008

Isabelle Boulay raconte à la télévision, comme elle chante souvent sur l'amour, qu'à 18 ans elle a eu une terrible peine de cette sorte ("la", dit-elle, de sa vie). Incapable de la supporter plus longtemps, l'idée lui vint d'aller voir un médecin. La médecin qui la reçoit lui dit alors: "Isabelle, ya juste une chose que je peux te dire, c'est qu'ya une chose ben importante, c'est de jamais en arriver à aimer quelqu'un d'autre plus qu'on s'aime soi-même".

Je... si...vous... les mots me manquent soudain. S'il vous plaît aidez-moi, appelez le 911, des pompiers, n'importe qui, envoyez-moi quelqu'un. Toutes les fibres de mon être se détachent une à une et se dispersent comme aspirées dans un sac de poussière.

jeudi 21 février 2008

À propos des nouvelles, dont nous avons parlé un peu il y a quelques temps: (Martin Heidegger, dans Être et temps)

Le se-projeter compréhensif du Dasein (existence humaine) est à chaque fois, en tant que factice, auprès d’un monde découvert. C’est en lui qu’il puise - de prime abord conformément à l’être explicité du On - ses possibilités. Cette explicitation du On, d’entrée du jeu, a restreint les possibilités choisissables à la sphère du bien connu, de l’accessible, du supportable, du convenable et du décent. Ce nivellement des possibilités de Dasein à la mesure de ce qui est de prime abord disponible au quotidien accomplit en même temps un aveuglement du possible comme tel. La quotidienneté médiocre de la préoccupation devient aveugle au possible et se satisfait auprès du simplement « réel ». Ce rassurement n’exclut pas, mais au contraire éveille un affairement multiple de la préoccupation. Dès lors, des possibilités positives nouvelles ne sont plus voulues, mais c’est le disponible qui, « tactiquement », est modifié de manière à ce que naisse l’illusion qu’il se passe quelque chose.

lundi 18 février 2008

Puisqu'il y a eu encore des meurtres dans une école, que c'est donc d'actualité et qu'il est bon de déplaire à ceux qui n'aiment pas lire long, car après tout je ne suis pas Radio-Canada:


Meurtres, Goth et Nihilisme

How can you just leave me standing
Lonely the world is so cold
Maybe I’m just too demanding
(When doves cry, Prince)

Je n’ai trouvé de repos
Que dans l’indifférence
(Désenchantée, Mylène Farmer)

Vous savez pourquoi on met un trait d’union à toi-même?
C’est pour l’autre.
[…]
Bienvenue, bienvenue ma plaie parfaite.
(Geneviève Desrosiers, Nombreux seront nos ennemis)


Il parait qu’il y a depuis quelque temps et en divers endroits des individus armés qui entrent dans les écoles et tirent au hasard sur d’autres individus. Ces événements étranges ébranlent beaucoup de gens. Pourquoi les écoles? Pourquoi cette haine aveugle? Pourquoi donc d’horribles malades s’attaquent-ils systématiquement aux écoles? Quel mal innommable les habitent pour qu’ils se jettent ainsi sur ce qui de loin les méritent le moins?

Il arrive que d’étranges phénomènes se produisent. Et lorsqu’il y a des phénomènes étranges, il faut leur trouver des causes. Et ce qu’il y a d’étrange dans ce qui se produit ces temps-ci c’est que des gens se mettent à tirer au hasard sur des gens d’école. Nous avons donc deux questions. Pourquoi tirer au hasard sur des gens et pourquoi tirer sur les écoles?

Commençons donc par les écoles puisque c’est là, me semble-t-il, contrairement aux apparences, l’impossibilité la moins difficile. Pourquoi donc des gens qui veulent tirer au hasard sur d’autres paraissent-ils s’attaquer presque systématiquement aux écoles? Mais à quoi voudriez-vous donc qu’ils s’attaquent? Si quelqu’un décide qu’il en est arrivé au point où il n’a plus rien d’autre à faire que de tirer sur des gens, c’est qu’il considère qu’il y a quelque chose de très grave qui se passe; et en tirant sur des gens il croit − de façon certes très confuse et sans grande adresse intellectuelle − régler ce problème qu’il perçoit ou du moins attirer l’attention des autres sur celui-ci. Par ailleurs, puisque c’est sur des humains qu’il tire, il est incontestable que ce sont les humains qui le dérangent ou qui d’une certaine manière sont cause du problème qui l’agite. Et un problème qui concerne les hommes, ou tout au moins un ou quelques-uns d’entre eux contre les autres, c’est un problème politique. Politique au sens fort, s’entend, c’est-à-dire ce qui concerne la vie des hommes entre eux, la construction de cette vie, et les conflits qu’elle implique. Or, si l’on y prête bien attention, l’on s’apercevra que le seul lieu qui pour nous soit encore authentiquement politique, c’est l’école.

C’est-à-dire que les hommes peuvent aujourd’hui facilement se cacher des autres hommes. La réalité politique est si fragmentée qu’un individu peut assez facilement vivre toute sa vie sans avoir à faire face à un individu qui pense de façon fondamentalement différente de lui. Sur Internet on découvre plein de gens qui pensent comme soi et l’on a l’impression que c’est là l’univers entier. Au travail on rencontre des gens qui ont plus ou moins fait les mêmes choix que nous, guidés par à peu près les mêmes conceptions, et dans nos cercles d’amitiés, nous fréquentons ceux qui ne nous rendront pas nos soirées de détentes insupportables par des idées qui nous dérangeraient. Non, en fait, l’école est le seul lieu où nous soyons forcés de vivre quotidiennement, d’être confrontés quotidiennement, de façon souvent conflictuelle et sans jamais pouvoir s’échapper, à des individus qui sont et qui vivent d’une manière qui nous est totalement étrangère. L’école est le seul lieu où des humains soient encore confrontés à d’autres humains qui ne sont pas exactement comme eux, du moins quant à l’essentiel. L’école est le seul lieu où nous soyons confrontés de façon nécessaire et constante à des différences radicales.

Toutefois, bien qu’une certaine faiblesse nous pousse de la sorte à nous entourer de clones de nous-mêmes pour ne pas avoir à être ébranlés de l’extérieur, il paraîtrait qu’en fait nous ne reconnaîtrions de vrai que ce qui est soumis également au regard des autres, et d’autres que l’on puisse authentiquement reconnaître comme tels. Ou en d’autres termes, nous ne reconnaîtrions de vrai que ce qui a une réalité politique. Nous pouvons trouver plusieurs exemples de cela : lorsqu’il nous arrive quelque chose, pour que cela devienne « vrai », nous voulons que d’autres le sachent, qu’ils y participent (qui n’a pas envie de retourner voir avec un autre un film qu’il a trouvé particulièrement significatif, ou de faire lire à un autre un livre capital); certains veulent passer à la télévision pour exister vraiment ou s’offrir en spectacle de quelque manière, et d’autres lorsqu’ils sont amoureux, comme on dit, veulent le crier sur tous les toits.

N’est-il pas normal, alors, que ceux qui veulent se révolter grandement contre le monde qui ne répond pas à leurs exigences, retournent au seul endroit où ils puissent trouver et confronter le regard d’authentiques « autres » qui se retrouvent ensemble de façon conflictuellement structurée, n’est-il pas normal qu’ils retournent à l’école pour se faire entendre?

S’il est toutefois raisonnable de voir en l’école la seule authentique agora que nous ayons, si l’on peut comprendre que dans un geste aveugle un individu égaré par maints côtés puisse trouver quelque raison qui le guide dans cette direction, il nous reste encore à voir ce que ces individus, lorsqu’ils sombrent dans la folie, pourraient avoir à porter à l’école comme revendications politiques. Quel peut donc être ce problème pour lequel ils veulent réparation ou sur lequel ils veulent éveiller l’attention?

Il est évident au premier abord que tirer sur des gens est un geste de violence et qu’un geste de violence est en général accompli par quelqu’un d’insatisfait qui souhaite réparer cette insatisfaction par cet acte violent. L’objet sur lequel est dirigé sa violence en outre devrait être celui qui de quelque manière peut réparer son insatisfaction. L’on s’attaque par exemple à un animal dans la forêt parce que l’on a faim : cet animal, lorsqu’on l’aura mangé aura assouvi notre faim; l’on s’attaque à quelqu’un qui nous insulte et nous humilie et lorsqu’il gît par terre écrasé sous nos coups, notre humiliation disparaît derrière la puissance que procure le sentiment d’être l’auteur de la sienne.

Ainsi, puisqu’il est assez manifeste que les gens qui entrent dans les écoles pour tirer au hasard sur ceux qui s’y trouvent ne nourrissent pas l’étrange projet de les manger, faudrait-il croire qu’ils ont quelque humiliation à réparer? C’est par ailleurs, lorsque l’on ne se contente pas de souligner leur évidente folie, l’explication que l’on sollicite le plus volontiers : ces fous sont d’anciens ou d’actuels rejets qui n’ont jamais su digérer leurs difficultés sociales adolescentes et qui viennent démesurément venger les humiliations qui les ont dévorés. Explication facile, qui a le douteux mérite d’être « psychologique », mais qui me paraît un peu banale. Raison pour laquelle je souhaiterais en considérer une autre.

Mais remarquons d’abord que ce sont souvent des représentants de ce que l’on appelle la culture « gothique » que l’on accuse de se jeter dans les écoles pour tirer au hasard sur des gens. Il faudrait donc commencer par expliquer ce qu’il y a de spécifique à cette culture gothique et voir ainsi s’il n’y aurait pas quelque élément susceptible de nous éclairer à l’égard du problème que nous cherchons. Soulignons immédiatement, toutefois, que le lien entre les Goths et les tueries dans les écoles ne mérite pas d’être fixé tel une évidence comme si le fait d’embrasser le « gothique » devrait nécessairement pousser quelqu’un à la tuerie. Fixer un tel lien serait très bête, mais il me semble néanmoins que le phénomène gothique est mû par une révolte qui, elle, est liée de façon intéressante à l’insatisfaction qui, emportée par la folie, peut égarer certains jusqu’à la tuerie (cela dit, il y a des liens partout qui peuvent amener les fous jusqu’à la tuerie!). C’est ce lien que je voudrais explorer, parce qu’il est possible qu’il puisse nous apprendre quelque chose sur nous tous, et certainement pas pour condamner des Goths. Examinons donc rapidement ce à quoi, du moins de l’extérieur, on croit pouvoir reconnaître des Goths. Bien sûr, et sans vouloir prétendre ici rendre compte de façon exhaustive des caractères « gothiques », l’on voit ses représentants souvent vêtus d’habits noirs qui ressemblent vaguement à ceux dans lesquels on verrait volontiers des sorcières. Ils sont maquillés de façon effrayante. L’on remarque aussi qu’ils ont une esthétique légèrement moyenâgeuse, sans doute à l’origine de l’appellation « gothique ». L’on sait qu’ils aiment bien certains films d’horreurs, qu’ils sont peut-être plus spécifiquement sensibles au raffinement des vampires, etc. Ainsi pourrions-nous dire, voilà qui est clair : ils ont des difficultés à se faire accepter de leurs camarades à l’école et affichent leur colère pour se montrer plus forts... Comment être plus efficace à cet égard qu’en prenant l’allure d’un monstre effrayant, d’un vampire avec des lèvres noires? Ils répondraient ainsi à l’humiliation par l’intimidation. Voilà l’explication de leur problème – pas tout à fait politique il est vrai puisque cela semble être une question qui mobilise uniquement le précieux « estime de soi » – et voilà ce qui explique toute leur violence. Mais encore là, j’oserais avancer qu’il est préférable lorsque l’on veut réfléchir convenablement, adage qui déplairait aux psychologues, de se méfier des explications banales.

Certes la colère et la réaction à l’exclusion peuvent justifier que l’on ait envie de se déguiser en monstres intimidants, mais pourquoi donc ce goût pour le Moyen-âge? N’est-il pas étrange en lui-même et ne doit-on pas s’en étonner? Il y a autant de monstres dans les sciences-fictions futuristes que dans les fantaisies moyenâgeuses. Mais si l’on y regarde de plus près, que représente donc le Moyen-âge de la façon la plus frappante dans l’esprit général? Il y a certes de la noirceur liée au Moyen-âge, ce qui fait toujours un peu peur, mais encore? Le Moyen-âge n’est-il pas l’expression, du moins pour les occidentaux, de l’esprit religieux : n’est-ce pas d’ailleurs précisément pour cette raison que les modernes, excités par leurs lumières et le progrès de la science, ont qualifié cette époque de noire et d’aveugle? N’est-ce pas l’époque où l’on consacrait cent ans et cent vies à ériger des monstres de pierre à la gloire de Dieu? Imaginons, nous bâtisseurs de supermarchés en tôle, ce qu’il fallait de foi, et de terreur et d’amour pour construire ces cathédrales que nous passons admirer quelques fois lorsque nous sommes en vacances.

D’accord me répondra-t-on, mais qu’est-ce que la religion a à voir avec les « Gothiques » et surtout, avec les meurtres au hasard dans les écoles? Et bien c’est qu’il me semble que la raison qui fait que de jeunes gens s’éprennent de l’esprit gothique a bien moins à voir avec la peine psychologique de ne pas être l’ami des chanceux qui sont dans l’équipe de hockey et des chanceuses qui s’habillent chez H&M, qu’avec la différence qui sépare notre époque de celle du Moyen-âge. Et cette différence réside dans ce que Weber a nommé, peut-être un peu maladroitement, le désenchantement du monde, c’est-à-dire la mort des religions, du lustre et de la puissance qu’elles apportaient à l’existence humaine et aux choses avec lesquelles les hommes entrent quotidiennement en contact.

Prenons garde toutefois, croire que les « gothiques » sont en manque de religion serait une autre banalité psychologique, car la religion n’est elle-même qu’une mauvaise réponse à un problème plus important, problème qui fut esquissé pour la première fois par le philosophe Friedrich Nietzsche et qu’il a lui-même nommé le nihilisme occidental. Pour le dire rapidement, le nihilisme est ce mouvement historique qui consiste, pour l’homme, à rejeter tout ce qui le fait souffrir. La vie le fait souffrir, alors il la rejette et la nie en la remplaçant par un paradis où un Dieu bienfaisant le noiera dans la béatitude. Puis ensuite ce paradis se fait attendre ou reste avare des preuves qui donneraient le courage de l’attendre. Le paradis fait donc aussi souffrir : il est alors nié à son tour et ainsi comme disait Nietzsche, nourri par le souffle négateur de l’homme, le désert croît.

Ce désert n’est pas l’absence de Dieu, Dieu lui-même n’a été sollicité que pour cacher ce désert, non, ce désert, c’est l’aveuglement de l’homme sur lui-même, c’est sa capacité de se ruiner lui-même et toute sa grandeur dans l’indifférence plate. Pourquoi l’indifférence? Nous l’avons dit, le nihilisme c’est la fuite qui nie et détruit tout ce qui le menace, tout ce qui lui fait peur : son moteur c’est la peur. Peur de quoi? La peur de souffrir. Tout ce qui fait souffrir est rejeté, nié, étouffé, anéanti. Mais comment ne plus souffrir (projet général – je le note en passant – de nos petits prêtres que sont les psychologues)? Il n’y qu’une seule façon de ne plus souffrir, c’est de se rendre insensible, c’est-à-dire indifférent à tout et ainsi inattaquable puisque tout nous indiffère et c’est comme ça qu’on sera enfin roi dans le désert qu’on aura construit autour de soi pour se protéger des obstacles. Ainsi, dans la fuite écervelée devant l’idée même d’une souffrance, l’esprit des hommes est pris par une crampe qui le fixe dans l’aveuglement de sa fuite et étouffe tout ce qui pour lui pourrait être important mis à par lui-même et la conservation de sa vie dans le confort et la sécurité de l’absence de souffrance.

Ne se pourrait-il pas que ce soit contre ça que peut-être même sans le savoir se révoltent les Gothiques, eux qui cultivent l’horreur et la souffrance, eux qui admirent les ombres obscures d’un Moyen-âge où des monstres étranges se seraient révoltés contre Dieu? C’est tout le contraire de l’indifférence plate des insensibles, cela : la confrontation monstrueuse des forces obscures et universelles. Il faudrait pour une fois mesurer tout ce qu’il y a de nostalgie du religieux et de dégoût pour l’absence d’enjeu, d’intensité, et pour l’étonnante mesquinerie de l’existence quotidienne actuelle, dans la sympathie gothique.

Notre monde serait devenu insignifiant et laid. Non laid comme une laideur effrayante de Gothique, comme une laideur expressive, mais de la laideur molle de la platitude, de la laideur qui ne s’intéresse à rien et qui n’intéresse personne, de la laideur qui ne soulève aucun enjeu de vie ou de mort, de la laideur qui va chez le chirurgien pour que son nez disparaisse parce que son profil trace une différence trop profonde avec le reste du visage, de la laideur qui veut que sa vie marquée sur sa peau disparaisse pour qu’elle puisse oublier la mort dans la même disparition, de la laideur qui frotte sa maison tous les jours avec du détergeant pour être sûre de n’y jamais trouver d’étrangers, même microscopiques, de la laideur qui fait la même chose avec les villes ou qui les fuit pour se réfugier dans les gazons verts, propres et uniformes de la banlieue.

Si le monde est devenu insignifiant, que l’on n’a plus l’impression d’y rien pouvoir faire d’important parce que tous les enjeux sont rabaissés à des alternatives débiles où les deux côtés sont inoffensifs, alors il est peut-être compréhensible que de jeunes gens se tournent vers les mythes du Moyen-âge et vers ses monstres émouvants.

Si le monde nous condamne à ne pouvoir poursuivre en lui aucun autre but que celui de se maintenir platement en vie dans l’absence de souffrance, rien d’autre donc que la simple et bête conservation de soi dans la sécurité (ce que vise toute aspiration au confort et ce que signifie ultimement toute utilité : ce qui résume actuellement, il est vrai, les impératifs mondiaux, mêmes écologiques), et qu’ainsi le monde empêtré dans son atavique ahurissement refuse d’entendre ces quelques-uns qui veulent qu’il se réveille et qui ragent de vivre avec force, saisissant que c’est en partie dans la souffrance que l’on peut rencontrer quelque chose de grand ou rencontrer grandement quelque chose, alors peut-être pouvons-nous comprendre que certains en viennent à vouloir bousculer le monde et peut-être pouvons-nous comprendre aussi que certains d’entre eux soient précisément gothiques.

Les gens qui vont tirer sur d’autres gens dans les écoles sont des fous. Ils comprennent mal ce qui les meut et réagissent de façon non seulement injuste, mais inefficace puisqu’ils saisissent imparfaitement l’objet et les raisons de leur rage, mais les fous, bien qu’ils ne comprennent pas tout, comme tout le monde comprennent au moins en partie quelque chose et la radicalité de leur crise peut ne pas être inutile pour les autres si ces derniers parviennent à comprendre comment cette folie, c’est le raidissement étroit, déplacé et hystérique d’une révolte raisonnable.

dimanche 17 février 2008

Je suis une image

Et quand vous ne me voyez pas c’est toujours de votre faute

Car j’ai beaucoup de choses à faire ces temps-ci
Dit-on

Même quand je passe inaperçu

samedi 16 février 2008

À 19 ans je pensais que j'étais capable d'écrire. Puis un jour je suis tombé sur une phrase en lisant un journal, le journal d'un écrivain que je regardais distraitement: je ne suis pas sûr et n'étais pas sûr alors non plus d'être terriblement intéressé par ces choses. C'était le journal de Kafka et cela ne me semblait pas en soi le rendre plus intéressant. Puis je suis tombé, comme je disais, sur cette phrase, isolée comme unique entrée d'une journée du journal:


Il regardait par la fenêtre.


Jusqu'à ce jour, c'est la seule phrase parfaite que j'aie jamais lue.

mercredi 13 février 2008

Il y a toutes sortes de choses autour de toi
Aux couleurs invisibles / Il parait qu’elles bougent
À leur vitesse/ Je ne suis pas sûr
Toutes les vitesses sont colorées/ Et J’ai peur de ne pas savoir
Distinguer les morceaux qui sortent de toi /
de ceux qui tournent rapidement à l’extérieur

Tu n’es pas un morceau
Et je ne vois rien autour de toi

Ce qui m’inquiète terriblement et me donne très mal aux yeux


Sorti du train après s’être ennuyé durant toutes les heures pendant lesquelles il n’avait pas dormi, l’homme qui revenait chez lui marcha sur le plancher plus ou moins propre de la gare qui ne lui semblait pas différente du soir où il était passé à travers elle pour sauter dans le train. Il marcha vite et glissa légèrement sur un peu d’eau qui traînait, ce qui, parce qu’il y avait là par hasard également un peu de poussière, par le glissement de la semelle de son soulier sur le plancher, en étendant l’eau sur la poussière, fit un peu de boue.

jeudi 7 février 2008

J’ai rude envie de gratter petit à petit le sol de la rue. Du soulier la semelle, me la frotter sur ce truc que je ne comprends pas et que l’on foule aux pieds décidément en l’appelant trottoir. Je ne le comprends pas, ce n’est pas dire que je comprendrais mieux l’herbe ou je ne sais quoi qu’il y aurait dessous s’il n’était là. Je veux frotter tout simplement pour voir, quitte à en perdre pied devant la lumière fluorescente et verte qui ouvre le passage aux piétons.

vendredi 1 février 2008

Dans le plat déposé sur la table devant lui, il découvrit d’abord une tranche du muscle d’un animal, un animal d’assez grande taille et poilu que l’on retrouve dans certaines forêts. À côté de cette tranche, une flaque de liquide composé sans doute en partie du sang de l’animal avait été artistement versée. Puis, occupant une partie de la moitié opposée du plat, de longs végétaux de couleur verte avaient été étendus avec soin les uns contre les autres, comme si l’on avait voulu leur donner l’aspect d’une sculpture pas trop compliquée.

Celui qui avait décidé, un peu impoliment il est vrai, de s’abstraire de la conversation à laquelle il était mêlé avec les trois individus qu’il avait joints à cette table, prit dans sa main gauche une fourchette qu’il enfonça dans la tranche sanglante présentée sur le plat, puis dans la main droite un couteau dentelé avec lequel il découpa un morceau de la viande pour le porter ensuite à sa bouche.

Il piqua avec la fourchette qu’il tenait dans la main droite ce morceau d’un animal qui gisait dans son plat et referma ses dents sur la chaire humide et détendue de la bête morte. En mâchant, il sentait entre sa langue et ses dents se détacher ce que l’on appelle les fibres des muscles. Il les sentait se défaire ces fibres qui elles-mêmes sont faites de cellules qu’il ne sentait pas. Mais son nez et sa tête étaient envahis des odeurs de l’animal haut et poilu que l’on peut apercevoir vivant dans les forêts. Les odeurs n’étaient pas douces et molles comme celles du poisson qu’il avait rencontré plus tôt, mais fortes et dures comme celles d’une bête qui pue et sue entre les arbres terreux et qui n’a plus d’eau que ce qu’elle peut porter avec son sang dans sa chair sèche loin de la mer nourricière. Lorsque celui qui voulait s’enfermer loin des conversations avec la bête morte mais saignante qui gisait dans son plat croquait dans un de ces muscles, tout en se donnant entre sa langue et son palais avec un étrange abandon qui tenait plus de la tendresse que du relâchement de la mort, tous les intérieurs de cette chair affichaient une tenue honorable et sauvage face à ce qui la pénétrait pour la défaire.

Devant cette viande qui sentait le sang de la bête sèche vivant esseulée et se frottant aux feuilles des arbres qui tombent et craquent par terre l’automne, il pensait qu’il était approprié qu’on l’ait fait brûler avec un feu soutenu par des morceaux de bois. Cela avait parfumé les morceaux de sa chair d’animal du goût des arbres contre lesquels et à l’ombre desquels elle avait dû gagner sa raideur, son poil et la noirceur de son sang.
Cela me semble beaucoup plus intéressant, et à maints égards, que ce dont on croit devoir parler en général dans les journaux. Et cela dit sans ironie aucune:
http://www.lemonde.fr/web/depeches/0,14-0,39-34141377@7-37,0.html